Dans l'art pariétal, on connaît de nombreux exemples d'utilisations de la morphologie des parois. Sans doute, la part que jouent ces dernières dans les créations du Paléolithique supérieur est-elle insuffisamment valorisée, mais leur existence est bien connue. Il n'en est pas de même dans l'art mobilier où les cas d'utilisations de la morphologie du support cités dans la littérature sont extrêmement rares.Faut-il en conclure que l'attention portée aux formes naturelles de la roche serait liée à la fonction symbolique du monde souterrain ? Il est plus probable que la rareté des exemples mobiliers provient d'une lacune de la documentation, car les centaines de plaquettes de Bédeilhac, en grande majorité inédites, en livrent un grand nombre. Elles attestent d'une démarche systématique et méritent une étude approfondie. S'agit-il d'un phénomène isolé, d'une « originalité » des occupants de Bédeilhac, ou peut-on trouver des comportements analogues au Mas-d'Azil, à Enlène, à Gourdan, à Isturitz et dans d'autres régions ? Si le phénomène a une ampleur culturelle, quelle est sa signification ?
Le type le plus fréquent est constitué par des fragments de plaquettes quadrangulaires ou trapézoïdales dont l'un des angles a été transformé à peu de frais en museau animal (ce que le Commandant Octobon a proposé d'appeler des « têtes d'angle »). Le naseau est calé dans l'angle et quelques détails sont ajoutés pour figurer la bouche, l'oeil, parfois l'oreille et des hachures bordant la ganache.
![]() MAN 76966.B1 |
![]() Foix: Oct 1 |
![]() FM 217710 |
![]() FM 217698 |
![]() MPRM NR113 |
![]() MPRM H59 |
![]() MPRM 481 |
![]() MPRM H50 |
![]() MPRM 405 |
![]() MPRM 406 |
![]() MPRM 438 |
![]() MPRM T.27 |
Certaines plaquettes peuvent présenter plusieurs têtes d'angle. C'est le cas de MPRM NR121 qui présente une probable tête de cheval à gauche et une probable tête de bison à droite.
![]() MPRM NR121 |
Certains des exemples ci-dessus sont des exemples-types assez complets pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur l'intention de l'auteur, mais les détails gravés sont parfois beaucoup plus discrets et peuvent laisser subsister le doute. Dans certains cas, la fragmentation est aussi une cause d'incertitude.Parfois, le traitement est bifacial et s'apparente à celui des contours découpés sur os (MPRM 434) ; parfois il est unifacial, le verso étant soit laissé vierge, soit orné d'un décor différent (MAN 76.966.I4, FM 217.702).
![]() MPRM 434 |
![]() MAN 76966.I4 |
![]() FM 217702 |
![]() MPRM H37 |
![]() MPRM 362 |
![]() MPRM 446 |
Parfois, la forme naturelle se suffit à elle seule, l'érosion de ces grès tendres donnant naissance à des formes très suggestives. On n'est alors très près des pierres-figures si redoutées du préhistorien. C'est le cas, par exemple, d'une tête de cheval très anatomique (MAN 76.256), entièrement naturelle à l'exception de quelques traces de retouche au niveau de la ganache. Dans le contexte de Bédeilhac (et notamment par rapprochement avec des têtes de cheval entièrement modelées dans le limon), nous pensons que ces faibles traces de retouche permettent d'accréditer cette tête minimale. Cela n'exclut pas que d'autres formes naturelles, également très suggestives, aient cependant été complétées par de nombreux détails anatomiques (MPRM NR 113, MPRM H.10).
![]() MAN 76256 |
![]() MPRM NR113 |
![]() MPRM H10 |
Les formes naturelles qui ont pu inspirer la mise en place d'une tête ne se limitent pas au contour. On observe également l'utilisation du bord d'une écaille pour figurer le contour de la tête (MPRM 445). Dans le cas de MPRM 465, où le traitement est bifacial, le chanfrein est constitué d'un côté par le bord de la plaquette et de l'autre par une écaille. Dans le cas de MPRM T.34, les deux profils utilisent le même contour en guise de chanfrein, mais des écailles de configuration différente sur les deux faces définissent deux profils d'aspect très dissemblable.
![]() MPRM 445 |
![]() MPRM 465 |
![]() MPRM T.34 |
D'autres particularités du support sont parfois mises à profit en plus du contour. Il y a alors intégration de plusieurs utilisations de la morphologie du support, ainsi que nous l'avons souvent noté dans l'art pariétal. Par exemple, MAN 76.966.B1 présente une légère convexité hémi-circulaire à la place de la joue ; l'oeil et le naseau de Oct. 1 sont de petits reliefs au centre de creux naturels.Dans la majorité des cas, les têtes figurées n'appartiennent à aucune espèce identifiable. L'imagination des Magdaléniens se donne libre cours et tire profit des caprices de la nature pour donnre naissance des « êtres de fantaisie », selon le mot de H. Bégouën (MPRM 464, MPRM 479, MPRM 485, MPRM NR 107).
Dans le cas de MPRM G8, il semble que ce soit le jeu des fractures ayant déterminé une excroisssance triangulaire qui ait suggéré une tête au chanfrein bombé et au museau pointu.
![]() MAN 76966.B1 |
![]() Foix: Oct 1 |
![]() MPRM 464 |
![]() MPRM 479 |
![]() MPRM 485 |
![]() MPRM NR107 |
![]() MPRM G8 |
Le limon induré que l'on trouve dans la grotte-même (notamment dans la Salle du Bison) et qui se présente sous forme de plaquettes aux bords émoussés par l'érosion et aux formes variées n'est sans doute pas étranger au développement particulier de l'utilisation des formes naturelles à Bédeilhac. Mais les exemples, également très nombreux dans l'art pariétal, nous montrent que le phénomène déborde largement l'utilisation fortuite de pierres aux formes suggestives. Le caractère récurrent de certains types indique que la pratique avait acquis une certaine valeur culturelle.
![]() MPRM H87 |
![]() MPRM H81 |
L'une des pièces les plus remarquables de ce point de vue ne concentre pas moins de quatre figurations, toutes fondées sur des particularités morphologiques du support (MPRM H.87). D'un côté, ce sont deux formes convexes oblongues limitées par un sillon naturel qui ont été transformées en têtes animales de profil gauche (lecture horizontale) ; la première est complétée par deux traits pour la bouche et un ovale pour l'oeil et la seconde par deux traits en fuseau à la place de l'oeil. Sur l'autre face, deux excroissances en forte saillie ont été transformées en têtes vues de face (lecture verticale) ; la tête supérieure, incomplète, est matérialisée par deux courtes incisions pour les narines et deux traits arqués pour la bouche ; la tête inférieure, plus détaillée, comporte deux ovales pour les yeux, un petit segment horizontal pour le nez et deux traits angulaires pour la bouche ; sous le menton, deux traits convergents. Le front bombé, les pommettes saillantes (le tout entièrement naturel) et les yeux gravés dissymétriques donnent un aspect quelque peu inquiétant à cette face monstrueuse.Il semble que les Magdaléniens de Bédeilhac avaient une attention soutenue, un oeil exercé et une imagination toujours en éveil pour tirer parti de toutes les formes de la pierre. Sur un fragment de plancher stalagmitique, une petite stalagmite cassée a évoqué la base d'une corne de bison (MPRM H.81). Une « tête d'angle » en profil gauche a été construite en conséquence : oeil biconvexe avec indication de l'arcade orbitaire, naseau bien calé dans l'angle. Une série de hachures perpendiculaires au bord figurent conventionnellement la barbe.
Non seulement le limon induré de Bédeilhac propose des formes évocatrices, mais il se prête aisément à la sculpture. On trouve donc des têtes dont le contour a été profondément modifié, de sorte qu'il est difficile de dire si la forme originale du fragment évoquait déjà un tête ou non. Cela paraît probable lorsque le travail de sculpture se borne à quelques retouches biseautant le bord supérieur afin de donner un léger modelé à la ligne fronto-nasale, mais il est d'autres cas, notamment lorsque le traitement est bifacial et conduit à de véritables rondes-bosses, où l'on n'a plus aucun moyen de le savoir (FM 217.701).Le corps de bison FM 217.696 est considéré comme une véritable sculpture par analogie avec des pièces analogues d'Isturitz et d'Enlène. Le travail est pourtant minimal ; il est surtout visible sous le ventre et sur les pattes postérieures. Il semble que la plaquette qui a été utilisée avait déjà une forme évoquant naturellement la silhouette d'un bison, notamment la ligne supérieure.
![]() FM 217701 |
![]() FM 217696 |
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